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Black Tea : quand les africains émigrent en Chine

Un sénégalais papotant mandarin avec un nigérian. Un resto chinois au Cap Vert. Un salon de coiffure ivoirien à Guǎngzhōu. Du thé, du commerce, des échanges, des vies ; tout simplement. C’est justement avec une fausse simplicité mais une réelle douceur que le mauritanien, Abderrahmane Sissako dépeint la plus grande communauté africaine d’Asie dans son dernier long-métrage ; Black Tea. Une retrouvaille avec le cinéaste, 10 ans après Timbuktu - premier film africain récompensé aux Césars avec 7 prix dont celui du meilleur film - et un Opéra, Le Vol du Boli (en collaboration avec Damon Albarn et Fatoumata Diawara).

 Une tasse de thé se boit en 3 gorgées... Et nous avons décidé d'écrire cet article en 3 accords.

 

1er accord: Émigrer

Interprétée par la géniale Nina Mélo ; Aya, ivoirienne, quitte son pays natal, la Côte d'Ivoire, après avoir dit « non » à un mariage qui semble socialement contraint - pour les deux parties. Elle rejoint la Chine et atterit à Guǎngzhōu, mégalopole avec ses 15 millions d’habitants, dont plus de 200 000 africain·e·s. Aya travaille dans une boutique de thé et y découvre les subtilités de cet art de vivre. C’est aussi là qu’elle rencontre Caï (interprété par Han Chang) avec qui un amour discret, à la fois doux et puissant se construit.


Sissako arrive à créer un miroir entre des traditions sociales ivoiriennes qui peuvent contraindre la vie des femmes et leur équivalentes chinoises. Encore une fois, la volonté d’universalisme prime. 

2er accord: Arômes

Black Tea, c’est le mélange des arômes. Autant prégnants que diffus, apparaissant et disparaissant au grès des températures. Ces arômes ce sont des personnalités uniques. Au premier plan, Aya et Cai qui est loin du modèle de l’homme chinois, son ex-épouse Ying (jouée par Wu Ke-Xi) une femme libre et heureuse qui ne lutte pas pour l’être mais pour qu’on la reconnaisse comme telle. Au second plan on retrouve Li-Ben, Mei, Tresor ou encore Vivi qui chacun·e à leur manière présente une grande liberté et ouverture d’esprit.

Sissako arrive à créer un miroir entre des traditions sociales ivoiriennes qui peuvent contraindre la vie des femmes et leur équivalentes chinoises. Encore une fois la volonté d’universalisme prime. On nous raconte ici non pas l’histoire d’un femme africaine mais l’histoire d’une femme ; puissante.

 

Cinewax - Black Tea

Les difficultés du tournage

Nina Mélo qui ne parlait pas la langue avant d’accepter le rôle d’Aya, s’est plongée dans le mandarin dont elle dit être tombée amoureuse. Après un long travail, elle réussi l’illusion, même auprès du public chinois. L’illusion, qui est le propre du cinéma, permet ici de cacher un lourd travail de gymnastique linguistique au cours du tournage. Ré-écriture des dialogues au dernier moment, traduction en chinois, interprète pour diriger les comédiens autant de contraintes qui ont été appréhendées avec sérénité par le très calme Abderrahmane Sissako.

Suite au refus d’autorisation de tournage à Guǎngzhōu, l’équipe s’est tournées vers Taïwan, ce qui donnera une légère gène phonétique pour les chinois et les connaisseurs. On peut s'interroger sur les raisons d'un tel refus pour un film qui n'a pas pour objet la critique du régime ou de la société chinoise.

 

3e accord: Couleurs

Le film nous plonge dans une esthétique singulière et léchée faite de wax africain et de mobilier chinois, Fela Kuti et de musique traditionnelle ou folklorique chinoise. La beauté des plan est sublimée par la pertinence et la force des dialogues. Le rituel du thé apparait comme un prétexte au rapprochement physique des deux âmes et ponctue le long-métrage de moments presque méditatifs.

 

 Sissako regarde le monde et nous prête sa rétine pour y voir d’autres latitudes.

 

Black Tea

 

Trajectoires de vie

Sissako regarde le monde et nous prête sa rétine pour y voir d’autres latitudes. Sortir du centrisme européen et déconstruire la supposée unilatéralité des mouvements africains. Tout comme lui, ayant fait ses études à Moscou, de nombreux mauritanien·ne·s, ivoirien·ne·s, sénégalais·es… sont parti vivre ailleurs et ailleurs qu’en Europe. Incroyable !? Incroyable de s’en interloquer, car ces parcours sont ceux d’hommes et de femmes qui construisent leur vie, tout simplement, donc avec toute leur complexité et dans toutes les directions. Des trajectoires bien souvent ignorées par nos regards européens étriqués.

 

« Montrer un monde qui existe véritablement et qui va exister de plus en plus. Et ce monde, l’Europe ne le voit pas […] car elle se regarde beaucoup elle-même » Abderrahmane Sissako

 

 

« La globalisation, ça peut être une bonne chose pour tout le monde. Y’a pas que les chinois y’a d’autres communautés qui s’installent. Les turcs sont là-bas, les indiens… […] Au Sénégal quand on va au marché de Sandaga [à Dakar] on voit des chinoises assises devant leurs étales qui parlent wolof. En 100 ans de colonisation française, personne n’a parlé la langue de l’autre. […] Aujourd’hui le chinois qui va en Afrique, il va parlé kiswahili, lingala, wolof, bambara. Parce que ce sont les petits gens qui voyagent […] qui construisent leur vie ailleurs. Ça c’est la réalité d’un monde qui change. »
Abderrahmane Sissako

 

La route du soi

La Chine existe en Afrique et l’Afrique existe en Chine et ce depuis plus longtemps que l’ont ne croit. Déjà au XVIe siècle, une communauté d’anciens esclaves noirs prenait place à Guǎngzhōu, arrivés par le comptoir portugais de Macao. Dans le film, il s’agit des immigrations plus récente datant déjà des années 1990. L’idée du film émerge d’ailleurs en 2000 quand le réalisateur rencontre à Bamako (où il vit) un couple d’un homme malien avec une femme chinoise qui, chacun·e parle la langue de l’autre (chinois et bambara).

Sissako fait le choix de ne pas présenter cette rencontre (Chine / Afrique) par le biais des rejets, du racisme voire des conflits. Sans pour autant les omettre, cet aspect des relations d’une diaspora avec un pays d’accueil ne sont pas au centre du film et ce pour une raison pertinente : il ne sont pas l’exception de la Chine. En effet le racisme et le rejet envers les africain·e·s noir·e·s ou les immigré·e·s de manière générale sont loin d’être l’exception chinoise, aime à rappeler le réalisateur. Et quand bien même de vrais problèmes feraient surface (violences policières, racisme ordinaire, …) il ne sont pas, pour le cinéaste, le fait d’une société ou d’un pays.

L’artiste fait donc le choix d’écrire une histoire universelle, non pas sur l’angle du rejet ou des violences mais reposant sur des personnages forts et un ton positif, sans jugement de ses personnages et de leurs choix. Contrairement à son moyen-métrage Octobre sorti en 1993 où il présente une déliaison amoureuse entre un immigré noir africain et une femme blanche russe dans la banlieue de Moscou. Le cinéaste semble désormais porter un regard plus positif sur le monde.

On vous laissera en juger en allant voir le film en salle (toutes les infos ci-dessous).

 

Cinewax - Black Tea - Tournage

 

Le film est disponible en salle ! Toutes les infos sur Allocine ici

Black Tea - Affiche

 

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Rédacteur pour Cinewax : Alif

Ressources :

https://www.radiofrance.fr/franceculture/evenements/avant-premiere-du-film-black-tea-au-majestic-bastille-paris-7074565

https://www.gaumont.com/fr/fr/film/black-tea

https://www.mediapart.fr/journal/international/150224/abderrahmane-sissako-l-occident-ne-se-voit-pas-disparaitre

https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/politique-africaine/chine-a-canton-les-africains-de-la-cite-chocolat-harceles-par-la-police_3055195.html

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