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Rabbah Slimani : "Aujourd'hui ce sont les films qui nous regardent "

Cinewax poursuit sa série spéciale cinéma algérien avec cette interview du jeune réalisateur Rabbah Slimani, qui a présenté son court métrage « Fitna » au Festival Africajarc cette année.

 

Rabbah Slimani prouve encore une fois que la jeunesse algérienne a des choses à dire. Avec « Fitna », court métrage qui questionne la place de la femme dans son pays, le cinéaste filme une Algérie qu’on a rarement l’occasion de voir, où des personnages se débattent avec les carcans dans lesquels la tradition les enferme. Rabbah Slimani y dépeint une jeunesse combative où chacun choisit ses armes pour se défendre : pour certaines, il s’agira du voile, pour d’autres, d’une paire de jeans, de cheveux lissés et de danse. 

Cinewax -  Dans « Fitna », les deux personnages principaux féminins sont amies. L’une porte le voile, l’autre non. Il était important pour toi de montrer ces deux choix de vies dans ton film ?

RS - Oui, je trouvais intéressant d’avoir deux personnages proches qui ont fait des choix radicalement différents, qui tentent chacune d’être plus libres en employant des techniques différentes. Ferriel est une femme rêveuse qui s’affirme et qui fait ce dont elle a envie en cachette. Alors qu’Edia, son amie, a pris un autre chemin. Elle porte le voile mais elle a de fait plus de libertés dans son "emprisonnement"  car elle est moins critiquée et moins surveillée. Celle qui porte le voile s’est prêtée au jeu. Elle a choisi le moyen le plus court et le plus facile. Alors que Ferriel a choisi le chemin de la résistance frontale. En somme, elles sont toutes les deux libres de leurs choix.

Cinewax - Le film montre que si les hommes sont théoriquement plus libres, ils sont également prisonniers des diktats de leur société...

RS - Effectivement, les deux personnages masculins, Mounir et Taleb, ne sont pas si libres que cela. Tout comme les femmes, ils ont des contraintes. Dans leurs cas, c’est plutôt le regard que porte la société sur eux qui enlève une part de leur liberté, parfois sans qu'ils en soient conscients. Il s’agit du poids de la religion, et des traditions bien ou mal interprétées. C’est tout cela qui balise les individus en les forçant à aller dans un sens particulier.

Cinewax - Ton précédent film « Salmeen » présenté en 2018 à Africajarc, a été censuré en Algérie. Pour toi, le cinéma doit forcément aborder de front les problématiques sociétales ?

RS - Le cinéma est un appareil politique puisqu’aujourd’hui tout est politique. Mais je ne crois pas être un cinéaste engagé ou militant. Je suis un journaliste urbain. Je mets un miroir en face des gens, mais je n’apporte pas de réponse.

Avant d’écrire un scénario, je pars toujours de questions que je me pose à moi-même : « Moi, si j’étais dans cette situation, qu’est-ce que je ferais ? ». Je peux potentiellement être tous les personnages en même temps dans chacune de leurs réactions. Mon but premier est de provoquer le débat, car il faut qu’on affronte ces sujets au lieu de les mettre à distance. 

Cinewax -  Penses-tu être un représentant du mouvement de contestation actuel en Algérie ? 

RS -  Bien sûr, car je suis le fruit de ma génération. C’est inévitable. Pendant les années 90, l’Algérie était enfermée. Pendant une dizaine d’années, le pays a connu la terreur. J’étais très jeune à cette époque-là. Mais ce souvenir nous a donné envie d’aller vers une ouverture et de projeter nos films à l’extérieur. C’est une manière de nous représenter. Cette fermeture qu’a connu l’Algérie fait que les gens ont des préjugés et de mauvais a priori sur ce pays.

Si j’ai une mission, c’est de montrer les différentes facettes de la culture algérienne à travers le monde et prouver qu’elle est très différente de ce que l’on voit dans les médias. Aujourd’hui nous ne faisons plus des films que l’on regarde, mais qui nous regardent. Pour chaque artiste, les œuvres sont d’abord des thérapies. On cherche des réponses. On m’a demandé pourquoi je n’avais pas montré plus de paysages de l’Algérie dans ce film, c’est simplement car je suis plus intéressé par les gens et leurs questionnements internes. Des images de l’Algérie, nous pouvons en trouver partout. Ce qui m’intéresse sont les sujets profonds qui remuent la société algérienne comme un miroir sur ses propres maux.

 

Propos receuillis par Chloé Ortolé -  Rédactrice Cinewax 

1 commentaire

  • Très joliment dit. Hâte de découvrir ce film.

    Camille Tina

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